LA  PATENTE  DE  MORIN


La patente de Morin, ou comment séparer le vrai du faux ?


S’il est un document maçonnique qui a posé de multiples problèmes à l’historien et, d’une certaine façon, au chercheur maçonnique, c’est bien ce document que l’on appelle la « Patente de Mo­rin ». Il est supposé avoir été remis au frère Étienne Morin le 27 août 1761 par un hypothétique Souverain Grand Con­seil des Sublimes princes de la Maçonnerie au Grand Orient de France. 


Mais jamais, au grand jamais, personne n’a pu affirmer avoir vu, consulté ou même touché ce document. Tout ce que l’on en connaît n’existe que par des copies, sans que l’on sache à laquelle il y a lieu réellement de se fier. Pour le plaisir, nous avons nous-même collationné dix copies différentes présentant, les unes par rapport aux autres, des altérations plus ou moins importantes, avant de dénicher, dans les archives d’une institution maçonnique américaine, la plus ancienne version de ce document, transcrite contre toute attente en langue an­glaise, cela en 1767. 


Selon le texte – traduit de l’anglais en français, après avoir été précédemment traduit du français en anglais –, il ressort queo:


« Nous Soussignés, Substituts généraux de l’Art Royal, Grands Surveillants et Officiers de la Grande et Sou­veraine Loge de Saint-Jean de Jérusalem, établie à l’O­rient de Paris; 


« Et nous, Puis­sants Grands Maîtres du Grand Conseil des Loges ré­gu­liè­res, sous la protection de la Grande et Sou­ve­raine Loge...


« Sur le rapport qui nous a été fait, et connaissant les qualités éminentes du maître [Très] Cher Frère Stephen Mo­rin, l’avons, d’un consentement général, constitué et ins­titué ; 

« 

Et, par ces présentes Constitutions [constituons], ins­tituons et don­nons plein et entier Pou­voir de former et établir une Lo­ge pour recevoir et multiplier l’Or­dre Royal des Maçons Li­bres dans tous les gra­des parfaits et su­blimes ;[…] de régler et gouverner tous les membres qui composeront la dite Loge, qu’il peut établir dans les qua­tre parties du monde où il arrivera ou pourra demeurer, sous le titre de Loge de Saint-Jean, et surnommée « La Parfaite Har­monie » ; 


« Lui donnons pouvoir de choisir tels officiers pour l’aider à gouverner sa Loge comme il le jugera bon ; auxquels nous commandons, et ordonnons de lui obéir et de le res­pecter.


« Ordonnons et commandons à tous Maîtres de Loges régulières, de quelque dignité qu’ils puissent être, ré­pandus sur la surface de la terre et des mers ; les prions et leur enjoignons, au nom de l’Ordre Royal, et en présence de notre Très Illustre Grand maître, de reconnaître ainsi et comme nous le reconnaissons, no­tre Très Cher Frère Stephen Morin, com­me Res­pec­table maître de la Loge La Parfaite Har­mo­­nie.

 

« Et nous le députons en qualité de Grand Inspecteur dans toutes les parties du nouveau monde, pour renforcer l’observance de nos Loix en général ; et, par ces pré­sentes, constituons notre Très Cher Frère Stephen Morin Grand maître Inspecteur ; l’autorisons et lui don­nons pouvoir d’établir dans toutes les parties du monde, la Par­faite et Sublime Maçon­­nerie, etc. etc. etc. »


Suivent plusieurs signatures, dont celles, des frères Chaillon de Jonville, La Corne, prince de Rohan, comte de Choiseul, Brest de de la Chaussée.


On s’est longtemps demandé si la Patente de Mo­rin n’était pas, à l’instar de divers documents maçonniques, un faux en écriture, avant d’admettre qu’il n’y avait aucune raison de douter de son authenticité. Un consensus s’est même établi pour admettre qu’elle émanait de la loge du comte de Clermont, alors grand maître des loges régulières de France, et non comme parfois avancé d’un supposé Conseil des Empereurs d’O­rient et d’Occident. 


Agissant en vertu de cette patente qui lui donnait une autorité maçonnique réelle, Étienne [Stephen] Morin devait, installé sur l’île de Saint-Domingue, structurer la Maçonnerie dite « de perfection », et établir les base d’un Ordre souverain, mais virtuel, en vingt-deux degrés, susceptible de mener le maître maçon du grade de maître secret à celui de sublime prince du Royal Secret ou gardien fidèle du trésor caché.


• Voir : Aux sources du Rite écossais ancien et accepté (Guy Chassagnard, Éditions Alphée - Jean-Paul Bertrand, 2008).

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