L'AIGLE  À  DEUX  TÊTES


D’où nous vient l’aigle à deux têtes du Rite écossais ancien et accepté ?


Un aigle à deux têtes décore tout document émis au nom du Suprême Conseil de France, qui entend être, et demeurer, « le seul conservateur et gardien du Rite écossais ancien et accepté ». Pourquoi ? Nous allons tenter de remonter à la source. Il est précisé dans l’édition française (1832) des Grandes Cons­titutions de 1786 – dont on ne dira pas assez qu’elles sont apocryphes – que « le grand sceau du Suprême Conseil est un grand aigle noir à deux têtes, le bec d’or, les ailes déployées, tenant dans ses ser­res une épée nue ». 


Dans la version latine des Grandes Cons­titutions, il n’est pas fait mention de l’aigle (!), mais un texte an­nexe, repris par les Suprêmes Conseils américains, indique que l’étendard de l’Ordre doit porter en son centre « un aigle noir à deux têtes, les ailes déployées, tenant dans une serre la garde d’or et dans l’autre la lame d’acier d’un glaive antique placé horizontalement de droite à gauche ».


L’aigle, le roi des oiseaux, a un long passé symbolique. Il est le substitut du soleil ou de la divinité (Zeus), l’attribut du pouvoir (César romain), l’emblème de la souveraineté et de l’indépen­dance (Russie, Pologne, Albanie, États-Unis). Pseudo-Denys l’Aréopagite,  affirmait à son propos (au Ve siècle) : 


La figure de l’aigle in­dique la royauté, la tendance vers les cimes, le vol rapide, l’agilité, la promptitude, l’ingéniosité à découvrir les nourritures fortifiantes, la vigueur d’un regard tendu librement, directement et sans détour, que la générosité du soleil multiplie. 


L’empire de Byzance a donné deux têtes à l’aigle, qu’a repris en­suite pour emblème le Saint Empire germanique, en raison de son ambivalenceo: empire d’Orient mais aussi d’Occident. Un œil dirigé vers l’est (Byzance), l’autre vers l’ouest (Rome), l’aigle bicéphale a été ensuite adopté par les chevaliers d’Orient et d’Oc­ci­dent au milieu du XVIIIe siècle. 


Il n’est donc pas anormal qu’il ait été retenu par des maçons écossais qui entendaient placer leur Su­prême Conseil à la fois sur les deux hé­mis­phères, et au-dessus de l’Ordre ma­çon­nique tout en­tier – et qui n’ignoraient peut-être pas qu’un(e) aigle figurait encore sur les armes du mar­grave de Brandebourg – devenu roi de Prusse. Un souverain promu, sans le savoir et sans le désirer, au rang de « grand maître » de la Franc-maçonnerie universelle.


Pierre Mollier, dans la revue maçonnique Renaissance Traditionnelle, fait remonter l’origine de l’aigle à deux têtes à des temps immémoriaux et indique que ses premières manifestations ont pu être rele­vées « dans le matériel archéologique laissé par la civilisation hittite qui s’épanouit en Asie mineure entre le XXe et le XIIIe siècle avant notre ère ». L’auteur de l’article rappelle également que l’aigle à deux têtes se trouve, depuis sa création dans les années 1760, parmi les symboles du grade de grand inspecteur grand élu ou chevalier Kadosch.


Nota. - À signaler, pour la petite histoire, qu’une aigle à deux têtes figurait sur le blason du marquis de Sade, suite au privilège obtenu par son ancêtre Elzéar de Sade lors de la visite de l’empereur Sigismond à Avignon en 1415.


• Voir : L’Aigle à deux têtes (Pierre Mollier, Renaissance Traditionnelle n°107-108, 1996). Aux sources du Rite écossais ancien et accepté (Guy Chassagnard, Éditions Alphée - Jean-Paul Bertrand, 2008).

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