LE  GODF  ET  LE  GADLU


Comment le Grand Orient de France a-t-il congédié

le Grand Architecte de l’Univers ?


Avant de répondre à la question, il y a lieu de re­mon­ter le temps pour s’arrêter, d’abord, à l’année 1849. Alors que la République s’installe en France, après avoir chassé Louis-Philippe de son trône, le Grand Orient de France, première institution maçonnique française, décide de se doter de sa première Constitution. Sont ainsi rédigés ses deux premiers articles :


• La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, a pour base l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme ; elle a pour objet l’exercice de la bienfaisance, l’étude de la morale universelle, des sciences et des arts et la pratique de toutes les vertus. 

Sa devise a été de tout temps : Liberté, Égalité, Fraternité.


• Tous les membres de l’association maçonnique sont obligés, par le seul fait de leur admission, à concourir, dans l’étendue de leurs facultés, au perfectionnement moral et intellectuel, c’est-à-dire au bo­n­heur de l’humanité.


En 1849 donc, pour être membre du Grand Orient de France, il faut croire en Dieu et en l’immortalité de l’âme. Moins d’une génération plus tard, les choses ont bien changé dans l’Ordre maçonnique ; suite aux rigueur de l’empire, à l’instauration de la République et au combat d’idées permanent opposant royalistes, bonapartistes et républicains. Le convent de 1877 s’ouvre donc sur des propositions nouvelles : il s’agit ni plus ni moins de bouter dehors le Dieu des catholiques, mais encore la notion qui s’y associe de Grand Architecte de l’Univers. 


Une commission, désignée avec le pasteur Frédéric Desmons (1832-1909) pour rapporteur, est chargée d’étudier le « problème » du Grand Architecte. 


Sa conclusion est que 


« La Franc-Maçonnerie plane majestueusement au-dessus de toutes ces questions d’é­glises et de sectes ; qu’elle domine de toute sa hauteur toutes leurs discussions ; qu’elle reste le vaste abri toujours ouvert à tous les esprits généreux et vaillants, à tous les chercheurs consciencieux et désintéressé de la vérité, à toutes les victimes enfin du despotisme et de l’intolérance. »


Appelée à statuer, l’assemblée se prononce à mains levées, par 135 voix contre 76, non pas directement pour la suppression de toute référence au Grand Architecte de l’Univers dans les travaux de loges ; mais plus subrepticement pour la suppression de « l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme » dans les premières lignes de la Constitution. 


Il n’est pas interdit aux francs-maçons du Grand Orient de France de croire en Dieu, ni même d’ignorer le Grand Architecte. Seuls les rituels et les textes officiels de l’Ordre se trouvent concernés.

 

Opinion formulée par le révérend Frédéric Desmons : 


« Quand une société de savants se réunit pour étudier une question scientifique, se sent-elle obligée de mettre à la base de ses statuts une formule théologique quelconque ? 


« Non, n’est-ce pas. Ils étudient la science indépen­damment de toute idée dogmatique. Ne doit-il pas en être de même de la Maçonnerie… »

 

La décision prise par le Grand Orient de France de ne plus imposer à ses loges la moindre référence au GADLU, et à ses membres de croire en Dieu, est à peine connue à l’étranger qu’elle entraîne des réactions tranchées immédiates. Les Grandes Loges d’Irlande, d’É­cosse, de Suède et du Danemark sont parmi les premières à rompre toute relation avec l’obédience. 


Suivront les loges britanniques, canadiennes et américaines. 


Un dernier détail : lorsque les loges symboliques dépendant du Suprême Conseil de France obtiendront, en 1894, leur autonomie, elles exigeront de celui-ci la possibilité de ne pas avoir à travailler à la gloire du Grand Architecte de l’Univers. 


Il faudra attendre 1953 pour que l’exposition du Volume de la loi sacrée, ouvert à la première page du Livre de Jean, soit obligatoire dans tous les temples de la Grande Loge de France.


• Voir : Les Annales de la Franc-Maçonnerie (Guy Chassagnard, Éditions Alphée - Jean-Paul Bertrand, 2009).

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