LE  GODF  ET  LE  REAA


Le Grand Orient de France a-t-il des droits

sur le Rite écossais ancien et accepté ?


Le Rite écossais ancien et accepté, connu primitivement comme « Rite ancien » ou « Rite ancien accepté », n’a que quelques semaines d’existence, en 1804, lorsque la Grande Loge Générale Écossaise qui en détient les grades symboliques et le Suprême Conseil de France qui en gère les grades supérieurs se voient contraints par le pouvoir impérial de s’unir au Grand Orient de France – reconnu comme seule ordre maçonnique national. 


D’où la signature, le 5 décembre – soit trois jours après le sacre de Napoléon –, d’un « acte d’union et con­cordat » supposé unir à jamais les Anciens et les Modernes. Mais les traités n’ont valeur d’engagement que pour ceux qui entendent les respecter. 


Dès les premiers mois de l’année 1805, des rivalités de personnes – plus, que des conceptions métaphysiques – portent atteinte à l’unité maçonnique. Certes, les dignitaires de la Grande Loge générale ont remis leurs sceaux, archives et rituels à leurs homologues du Grand Orient, mais les écossais titulaires de hauts grades se sentent rapidement lésés. Dès le mois de mars circulent d’ailleurs deux versions de l’acte d’union : la première indiquant que le Grand Orient « unit à lui » les autres rites, la seconde qu’il « s’unit » aux écossais... 


Révisant ses règlements généraux, le Grand Orient constitue en juillet un Grand Directoire des rites, destiné à régir les rites et à « s’occuper spécialement des hautes sciences de l’Art maçonnique ». D’où la révolte des écossais. Le 6 septembre, 88 « princes-maçons » du Rit ancien se réunissent en Consistoire dans l’hôtel du maréchal François Christophe Kellermann, duc de Valmy, et adoptent une motion accusant le Grand Orient de tromperie, rapportant le concordat et rétablis­sant l’éphémère Grande Loge Écossaise – qui ne sera pas rétablie... 


Pour faire simple, nous dirons que pendant près d’une décennie le Suprême Conseil de France, ayant recouvré son indépendance, mais ayant volontairement (?) abandonné, au Grand Orient, la gestion des grades écossais inférieurs au 19e degré, mène une vie maçonni­que tranquille, sinon obscure, sous la pré­sidence de Jean Jacques Régis de Cambacérès ; le comte Auguste de Grasse-Tilly, lui, a abandonné sa charge de souverain grand commandeur dès 1806 pour reprendre une carrière militaire abandonnée à la Révolution.


La chute de Napoléon modifie les structures et les ambitions maçonniques ; tandis que le Suprême Conseil de France perd sa direction, et que de Grasse-Tilly, redevenu civil, fonde un nouveau Suprême Conseil dit d’Amérique, le Grand Orient affirme, avec le maréchal de Beurnonville et le duc de Tarente, reprendre tous ses droits sur le Rite écossais – et reconstitue « son » propre Su­prême Conseil.   


Pire que cela, suite à un exil forcé pour dettes, le fondateur du Rite écossais en France crée en 1818 un second Conseil d’Amérique, dit « de Pompéi » pour le distinguer du précédent (dit « du Prado »), qui continue d’exister – après l’avoir évincé de sa grande commanderie. De son côté, le Grand Orient de France déclare « irrégulière », dans une circulaire de neuf pages, « toute société maçonnique, ou soi-disant maçonnique, dont le titre constitutif ne serait pas émané de luio». La situation écossaise devient alors des plus confuses. 


Ce n’est finalement qu’en 1821 que sera instaurée une paix durable entre les membres des deux juridictions d’Amérique rivales, lorsque ceux-ci, réunis au sein d’un seul Suprême Conseil du 33e degré pour la France, se placeront sous la présidence du général Jean Baptiste Cyrus de Timbrune-Thiembronne, comte de Valence, en vue de « réunir à lui tous les maçons réguliers du rit écossais ancien et accepté, dans les degrés auxquels ils ont été légalement promus, de manière qu’il n’y ait plus dans ce rit qu’un même Ordre et une même famille ». 


Un même ordre et une même famille, certes, mais en dehors du Grand Orient de France qui prétend, en 1821, et prétendra toujours « avoir reçu » le Rite ancien, accepté et de surcroît écossais, lors de la signature solennelle, en décembre 1804, d’un « acte d’union » dûment conclu par lui et les dignitaires de la Grande Loge Générale Écossaise, conduits par le comte Auguste de Grasse-Tilly. Alors que le Suprême Conseil de France, lointain héritier des Conseils de Pompéi, du Prado et pour la France, n’en continue pas moins à se présenter comme le « seul conservateur et gardien du Rite écossais ancien et accepté ». 


À n’en point douter, le Rite écossais ancien et accepté ne peut être aujourd’hui considéré comme la propriété exclusive d’une seule juridictiono; et rien qu’au sein de la Franc-maçonnerie française coexistent plus de dix... suprêmes conseils du 33e degré, masculins, féminins ou mixtes. 


Nota. - Il faut savoir que le comte de Grasse-Tilly a fondé en 1804, en marge d’un Suprême Conseil du 33e degré en France un hypothétique Suprême Conseil des Indes Orientales, qu’il a ranimé à la chute de Napoléon sous le titre de Suprême Conseil d’Amérique (ou Suprême Conseil du 33e degré pour les possessions françaises d’Amérique) mais dont il a été évincé, en 1818, pour « abus de pouvoir et délits de concussion ». D’où la création d’un second Suprême Conseil d’Amérique – dit alors de Pompéi.


• Voir : Recueil des Actes du Suprême Conseil de France, de 1806 à 1830 (1834). Histoire du Grand Orient de France (Achille-Godefroy Jouaust, 1865). Résumé historique... du Suprême Conseil du REAA (Jean-Marie Raymond, 1908). Aux sources du Rite écossais ancien et accepté (Guy Chassagnard, Éditions Alphée - Jean-Paul Bertrand, 2008). 

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© Guy Chassagnard 2023