LES  CONSTITUTIONS  SECRÈTES


Qu’appelle-t-on Constitutions secrètes de 1761 ?


On connaissait les Constitutions de 1762 (en réalité de 1763), et les Grandes Constitutions (apocryphes) de 1786. Il a fallu, pour découvrir les Constitutions secrètes, compulser les pages de l’ouvrage : Ancient and Accepted Scottish Rite, d’Albert Pike, publié en 1872. Ces Constitutions y figurent sous le titre complet de Grandes Cons­titutions secrètes ou Règlements des Souverains Grands Inspec­teurs Généraux de la Franche et Royale Maçonnerie Ancienne et Moderne sur les deux Hémisphères, constituées à Paris, York et Berlin.

 

Ceci en tren­te-trois articles. 


À la fin du texte, daté du 27 août 1761, présenté en français et en anglais, sont supposées figurer les signatures de Chail­lou de Jonville, de Topin, de Ro­han, de La Chaussée, de Saint-Simon, de Choiseul, de Lenon­court et de Dubantin – déjà signataires de la Patente de Morin. Que peut-on apprendre de ce document, long de dix-sept pages ? Tout bonnement que :


• Tout Souverain Grand Inspecteur Général a le pouvoir de faire des Maçons en loges, collèges, conseils, chapitres, etc. Il est Souverain Commandeur à vie de toute la Maçonnerie (article 1).


• Tout Souverain Grand Député Inspecteur Général a le pouvoir d’instituer ou de constituer des loges, collèges, etc. (art. 4).


• Les Souverains Grands Inspecteurs Généraux Grands Com­mandeurs sont absolument les maîtres de l’Art Royal militaire de l’Ancienne et Moderne Maçonnerie (art. 5).


• La dignité d’un Souverain Grand Inspecteur Général est à vie. Elle émane des trois orients, Ancien, Moderne et Écossais (art. 8).


• Les présentes Constitutions secrètes sont émanées de notre Puissant et Illustre Frère Frédéric III, roi de Prusse, maître Sou­verain en Chef de l’Armée des Souverains Princes et Che­valiers de l’Aigle Blanc et Noir (art. 9).


Albert Price a ac­compagné « ses » Constitutions secrètes d’une introduction dans laquelle il affirme les avoir trouvées en 1860 dans un amas de rituels et de documents provenant de la Gran­de Loge de Loui­siane.  Y figurait la signature du comte Auguste de Grasse-Tilly. L’authenticité du document étant clairement établie, le grand com­mandeur du Suprême Conseil des États-Unis, ju­ri­diction sud (de 1859 à 1891), n’avait aucune raison de con­ser­ver celui-ci par devers lui ; d’où sa publication. 


Examinées conjointement avec les Grandes Constitutions de 1786, les Cons­­titutions secrètes de 1761 n’apportent au lecteur aucune information nouvelle. 


Elle se révèlent, d’emblée, tout autant apocryphes, ne serait-ce que par leur article 9 faisant référence au « Puissant et Illustre Frère Frédéric III, roi de Prusse, maître Sou­verain en Chef de l’Armée des Souverains Princes et Chevaliers de l’Aigle Blanc et Noir ». 


On peut, évidemment, s’interroger sur le point de savoir qui était, en vérité, ce « Frédéric III », et hésiter à souhait entre Fré­déric Ier, roi en Prusse (1657-1713), mais également margrave de Bran­de­bourg sous le titre de Fré­déric III ; Frédéric Guil­laume II (1744-1797), parce que successeur de Frédéric II ; Frédéric-Guillaume III (1770-1840) ; Frédéric III (1831-1888) – mais au­cun de ces rois « en » ou « de » Prusse n’a pu régner en Prusse en 1761. 


Quant à Frédéric II, nous savons pertinemment qu’on ne peut l’impliquer en matière d’Écossisme. 


À qui en douterait, nous pourrions proposer cette pièce à conviction, pro­venant de la Grande Loge des Trois Globes de Berlino; elle est datée du 17 août 1833o:


La Grande Mère-Loge Nationale des Trois Globes a été fondée le 13 septembre 1740 sous les auspices de Frédéric le Grand, qui fut son premier Grand maître. Celui-ci n’a jamais pris part à son or­ganisation et à sa législation. Tout ce qui a été relaté sur sa délivrance, en 1786, d’un décret maçonnique, n’a pas de base histori­que.


On ignorera sans doute toujours qui a véritablement rédigé les Constitutions secrètes, ainsi que la motivation ayant conduit à leur rédaction. Ce dont on peut être sûr, c’est que l’auteur ignorait tout des souverains et de l’histoire du royaume de Prusse. Albert Pike sera quant à lui absous pour son ignorance ; il était américain – peut-être après tout comme ledit auteur…


• Voir : Ancient and Accepted Scottish Rite (Albert Pike, 1872). Aux sources du Rite écossais ancient et accepté (Guy Chassagnard, Éd. Alphée, 2008).

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