LE  MOT  DE  MAÇON


Qu’a-t-on appelé « Mot » de maçon ?


Pour répondre à la question, il y a lieu d’évoquer d’abord  les cinq points du compagnonnage (devenus plus tard du maître ou de la maîtrise) ; ce qui nous ramène inévitablement au début du XVIIe siècle en Écosse. Il semble que dans les années 1630 se soit établie dans la loge calviniste (donc ouverte à l’interprétation libre des Écritures) de Canongate-Kilwinning, située non loin d’Édimbourg, l’habitude d’accueillir tout nouveau membre par une poignée de main dans le même temps que lui était communiqué le nom des deux colonnes de Salomon – rappelant la «omain d’associationo», évoquée par Paul dans son Épître aux Galates (2:8-9) : 


Car celui qui a fait de Pierre l’apôtre des circoncis a aussi fait de moi l’apôtre des païens – et ayant reconnu la grâce qui m’avait été accordée, Jacques, Céphas et Jean, qui sont regardés comme des colonnes, me donnèrent, à moi et à Barnabas, la main d’association, afin que nous allassions, nous vers les païens, et eux vers les cir­concis.


La poignée maçonnique serait par la suite devenue la « griffe » que nous connaissons. Ce qui est sûr, c’est que le manuscrit des Archives d’Édimbourg, qui porte la date de 1696, fait référence à ce que son auteur appelle le « Mot de maçon ». 


Il s’ouvre en effet par cette phrase : «oQuelques questions que les maçons ont coutume de poser à ceux qui possèdent le Mot, avant de les reconnaître.o»

Parmi les questions et les réponses énoncées dans le corps du texte figure celle-ci :


Question. - Combien y a-t-il de points du Compagnonnage ?

Réponse à donner. - Cinq, savoir : pied à pied, genou à genou, cœur à cœur, main à main et oreille à oreille.


Suit cette précision : 


« Faites alors le signe du Compagnonnage, et serrez la main [de votre interlocuteur], et vous serez reconnu pour un véritable Maçon. Les mots sont dans le premier Livre des Rois (7:21) et dans le deu­xième Livre des Chroniques (3:17). 



Selon le manuscrit d’Édimbourg, le Mot de maçon est communiqué au nouveau venu après « maintes cérémonies destinées à l’effrayer », qu’il se soit agenouillé et ait prêté serment sur la Bible ; ceci après encore qu’il ait appris à « se tenir à l’ordre » et que le Mot ait circulé du plus jeune au plus ancien membre de la loge. 


Alors, conclut le document, le maître lui donne le Mot et lui serre la main à la manière des maçons, et c’est tout ce qu’il y a à faire pour faire de lui un parfait Maçon.

 

Daté de 1700, le Manuscrit Chetwode Craw­ley reprend « la manière de donner le Mot de maçon » du document précédent ; mais en lui apportant quelques précisions supplémentaires dans son catéchisme fait de questions et de réponses :


Question. - Combien y a-t-il de points du Compagnonnage ?

Réponse. - Cinq, savoir : pied à pied, genou à genou, cœur à cœur, main à main, oreille à oreille. 

Ce sont là les points du Compagnonnage. 

Et, par une poignée de main, vous serez reconnu pour un vrai Maçon.


Q. - Où trouve-t-on les mots ?

R. - Au premier Livre des Rois, chapitre 7, verset 21o; et au second Livre des Chroniques. chapitre 3, dernier ver­set.


Rédigé à la même époque, le Manuscrit Sloane n°3329 complète ce qui vient être rapporté par les conditions et les termes du serment que doit prêter celui qui reçoit le Mot de maçon :


« Vous garderez secret le Mot de Maçon et tout ce qu’il recouvre, vous ne l’écrirez jamais, directement ni indirectement ; 


« Vous garderez tout ce que nous-mêmes ou vos ins­­tructeurs vous ordonneront de garder secret, vis-à-vis de tout homme, femme ou enfant, et même vis-à-vis d’une souche ou d’une pierre, 


« Et vous ne le révélerez jamais, sinon à un frère ou dans une Loge de Francs-Maçons,

 

« Et vous observerez fidèlement les devoirs définis dans la Constitu­tion. 


« Tous ces points, vous promettez et jurez de les garder et de les observer fidèlement sans aucune espèce d’équivoque ou de restriction mentale, directe ou indirecte. 


« Que Dieu vous soit en aide par le contenu de ce livre. »


Fait curieux, le Manuscrit Sloane fait état d’un « Mot de maître », différent du « Mot de maçon » :


« Ils ont un autre [Mot] qu’ils appellent « Mot de Maître », et c’est « Mahabyn », qu’ils divisent toujours en deux mots. Ils se tiennent de­bout l’un contre l’autre, poitrine contre poitrine, les chevilles droi­tes se touchant par l’intérieur, en se serrant mutuellement la main droite par la poignée de main de maître, l’extrémité des doigts de la main gauche pressant fortement le dos de l’autre ; ils restent dans cette position le temps de se murmurer à l’oreille l’un « Maha » et l’autre, en réponse, « Byn ». »


Désormais, il ne sera plus question, en Franc-maçonnerie, que de « Mot de maître ».


• Voir  : Les Anciens Devoirs (Guy Chassagnard, Éditions P. Galodé, 2014)

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